Cette vie de rien, de rien du tout...

C' était une petite pomme, un petit trognon, même à la base. Tout fin, menu, plein de vie et d' appétit. Un petit rien du tout sorti d' un antre noir d' angoisse, sorti du ventre de la peur et du désamour, sorti  de nulle part,. C' est un petit trognon de rien du tout, une boule frisée, déjà courte sur pattes, tombée du ciel et partie, sûre d' elle, sur le chemin chaotique...Elle ne se désintéressait de rien, jamais. Tout trouvait toujours un sens. Tout était toujours beau. Les adultes la  rassurait encore. Tout évènement était joyeux. L' être humain était encore un peu humain, sensible, bouleversant . Elle était passionnée par les rapports aux autres, c' est ce qui la nourrit pendant longtemps... Elle n' aimait que cela d' ailleurs, être en compagnie, elle se foutait bien si cette compagnie était bonne ou pas. Un jour, elle est tombée avec fracas, s' est relevée en titubant et a chuté dans un gouffre sans fond.  Elle a errée, longtemps, comme en apesanteur. Tout était noir opaque. Tout était torpeur. Elle avait peur. Elle a eu honte. Elle a eu mal. La descente n' en finissait pas de durer. Tout s' est embrouillé au fil du temps. Elle a pensé à mourir pour se libérer. Elle a pensé à se laisser aller. A cet instant précis, elle savait que tout n' était pas si beau. En cet instant, elle a su qu' elle serait peu faite pour ce monde ténébreux. L' arrivée au sol a été fracassante. Elle ne s' est pas relevée tout de suite. Longtemps à demi-sommeil, sonnée, elle a erré, encore. Elle a tâtonner les parois rugueuses du piège. Longtemps, elle a eu peur. Longtemps, elle s' est cachée. La petite pomme s 'est flétrit, asséchée. On ne la pas ménagée . Elle se laissait faire. Elle s' est laissée malmener des années durant. Elle a eu l' impression de vivre plusieurs vies, plusieurs cauchemars. Elle regardait, elle écoutait, sans défense, sans répondre. Elle encaissait. Même la colère l' avait quittée. Dans le noir, elle a trouvé quelques mains tendues, chaudes, douces, rassurantes. Dans le noir, des voix bienveillantes l' ont guidées, consolées, cajolées. Alors, avec force et courage, elle s' est hissée vers la lumière. Elle a mis du temps, mais s' est souvent trompée de chemin. A tâtons, en silence, elle cherchait les branches les plus solides et les pierres les plus stables. Avec force et rage, elle a tendu la tête et a sourit au premier rayon de soleil. Ses yeux se sont fermés, éblouis par la violence de la vie. Elle savait que rien n' était terminé. L' herbe était verte et le paysage splendide. L' Humain ne l' était plus tellement et elle préférait la solitude à la compagnie d' autrui. Elle avait bien compris, et ce, depuis longtemps, qu' au fond, on naît seul, on vit seul et on meurt seul. Tout le reste est de la poudre aux yeux , de l' hypocrisie. L' Homme est fourbe, traître, égoïste. L' Homme est calculateur, ambitieux, pressé, insensible, froid, méchant, moqueur, intolérant, indifférent. Voilà la vérité. Voilà sa vérité. Souvent, elle a essayé d' y croire, de reprendre confiance, de se remettre gaiement dans la ronde, elle se regonflait et mettait du rouge sur ses joues pour paraître bien vivante....Balivernes ! Tout retombe toujours comme un soufflé. La petite pomme est devenue fataliste, par le force des choses. Le problème est qu' elle souffre toujours en silence , qu' elle s' abîme au fil du temps. Elle aimerait tellement le trouver ce monde où tout le monde s' aime, s' aide, se donne la mains. Un monde sans honte, sans préjugés, sans sournoiseries. Un monde où on s' aime, et puis c' est tout ! Elle l' a rêvé ce monde-là, peut-être...mais , elle y reste attachée comme un enfant à son doudou. Parfois, lorsqu' elle est trop triste, elle voudrait retourner dans son gouffre. Replonger dedans tête la première et s' enrouler dans le noir opaque. Elle est comme coincée ici. Parfois, elle aimerait quitter cette vie de rien , de rien du tout. La petite pomme est devenue grande, mais a toujours cette impression étrange d' avoir huit ans. Coincée. On lui a croqué de beaux quartiers et elle n' a plus le goût de mettre du rouge à joues. Elle sent qu' elle se ratatine. Elle sent aussi la force lui manquer, souvent. Comme elle est, elle se tient là. Dans la vie de rien, de rien du tout. Elle regarde tantôt avec joie, tantôt avec peine ses enfants grandir . Elle observe ce que la vie donne et reprend sans vergogne. Certains, les optimistes, diront que " Oh c' est une chance ! ". Elle, ce trognon flétrit, pense que c' est pas toujours évident. Qu' il faut être fort pour encaisser . Elle n' est pas forte du tout. Au pied de son arbre, les bras ballants, le dos calé, les yeux humides,  elle regarde passer cette vie de rien, de rien du tout...